Cela fait longtemps que je voulais parler ici du Mégaphone Tour. Je suis très "fan" de cette opération concrète d’aide à l'émergence, de soutien, d’accompagnement et de développement par la scène des talents de demain.
Comme l'indique le site internet, chaque année, 12 auteurs-compositeurs-interprètes, préalablement sélectionnés, partent sur 4 tournées dans 4 grandes Régions de France (Sud Ouest, Sud Est, Nord Est, Nord Ouest), proposant ainsi un plateau découverte de 3 artistes en bas de chez vous ...
Chaque tournée est composée d’une dizaine de concerts sur trois semaines, dans des lieux de diffusion offrant des conditions professionnelles. Le dispositif permet une mise en lumière, tout au long de l’année, en proposant aux groupes de jouer dans des salles de concerts partenaires. A plus long terme, le Mégaphone Tour assurera sur des festivals une présence estivale pour les 12 artistes ou formations sélectionnés de l’année. Ces plateaux composés de 3 artistes, jouant chacun 30 min, permet d’offrir une diversité musicale et un plateau « découverte » au public, représentatif de la scène émergente. Le Mégaphone Tour propose un concert «chez les gens », cherchant la rencontre entre l’artiste et son public dans un rapport de proximité.
Caroline Guaine, madame Mégaphone Tour, avec Martin Luminet, OUEST et Laura Cahen.
J’ai proposé à la directrice du Mégaphone Tour, Caroline Guaine, de rencontrer les artistes actuellement en tournée pour les faire témoigner. Je voulais notamment savoir comment ils vivaient cette expérience. Je suis allé rejoindre Laura Cahen, OUEST et Martin Luminetau Celtic de Tarbes, le 2 février dernier. Nous nous sommes enfermés dans un appartement au-dessus de la salle et je les ai « cuisinés ».
Les forces en présence :
Laura Cahen (par Éric Reinhardt, écrivain):
"Elle se décrit comme une éponge à sentiments, se nourrissant de la vie des autres, de films et aussi de livres, qui peuvent connaître d’amples répercussions dans son monde intérieur, si elle est émue. Quand elle écrit, elle part d’un mot ou d’une image et déroule le fil de ses sensations jusqu’à écrire un texte entier, dont à la fin elle découvre stupéfaite qu’il parle avec netteté de ce qu’elle est en train de vivre, et d’elle : ainsi, pas intellectuelle pour deux sous mais plutôt sensitive, instinctive, inquiète et un peu animale, un animal inoffensif et un peu triste, Laura Cahen ne part jamais du sens mais y aboutit, dans la forme finale des chansons qu’elle a écrite. Et cette forme finale est souvent puissante, elle vous emporte dans ses élans comme si chacune était une promesse de libération et qu’au bout, au bout de la chanson, au bout du voyage mélodique, visuel et vocal, au dénouement des sensations qu’elle sait créer, l’auditeur enivré serait sauvé. Quand elle chante, la voix de Laura Cahen est singulière et attachante, avec une forte identité… Une voix claire, aigüe et haute, avec en même temps une profondeur cuivrée qui apparaît au fond de certains mots, une dimension organique de fanfare, avec des cuivres, des trompettes, une grosse caisse, des cymbales, en plein air, sous un ciel de printemps…"
Un premier album vient de sortir, Nord.
OUEST : Après avoir écumé les scènes de France, de Chine et du Québec, Jef Péculier, l’ex-guitariste de La Casa, remonte en selle sous le nom de OUEST. Le projet voit le jour en Janvier 2014, OUEST écrit, compose, arrange et enregistre guitares, claviers et sample pour donner naissance à une folk-rock en français. Pour le live, il fait appel au bassiste Xavier Vadaine et au batteur Corentin Giret.
Après une période de résidence au 6PAR4 à Laval au printemps 2015, une belle aventure débute et le projet prend forme après une quinzaine de concerts et un accueil très enthousiaste auprès du public et des professionnels. Un premier EP vient de sortir.
Martin Luminet s’inscrit dans la lignée de ces chanteurs qu’on aime appeler « chanteurs à souhait », qui n’en font ni trop, ni pas trop trop.
On retrouve dans ses chansons de doux paradoxes et l’entêtante idée de pouvoir vivre avec des incohérences, des faiblesses, des aveux d’impuissance et des regrets paisibles. Dans ses chansons on a le droit d’être maladroit, de souffrir de jolies choses, d’être heureux de travers, d’aimer quelqu’un de loin, de faire des chansons tristes qui rendent heureux, bref, on a le droit d’être pas droit. Martin Luminet a le même âge que les garçons de 1989 et présente pour la première fois son projet le plus intime sous la forme d’une Pop Sensible qui s’évertuera à démontrer qu’il est possible de pleurer en dansant.
Un premier EP vient de sortir, Bande Annonce.
Interview :
Vous connaissiez le Mégaphone Tour ?
Martin Luminet : Plusieurs personnes à Lyon m’en avaient parlé en me signifiant que ce serait une bonne idée que je me présente. Ils ont bien fait parce que je trouve cela remarquable.
Laura Cahen : J’en ai entendu parler depuis un moment parce que je connais des artistes qui sont passés par là. J’y participe parce que Caroline Guaine m’a appelé pour que je devienne la marraine de cette tournée dans le sud-ouest.
OUEST : C’est mon manager qui m’a incité à me présenter. Il m’a parlé de ce dispositif. J’ai été auditionné, sélectionné et aujourd’hui, je suis sur le Mégaphone Tour. Et j’en suis très heureux.
L’idée de partir trois semaines sur la route avec d’autres artistes qu’on ne connait pas, c’est enthousiasmant ?
OUEST : C’est aussi le but de notre métier que de se retrouver sur scène avec d’autres artistes. En tout cas, entre nous, ça se passe très bien. C’est une vraie joie pour moi de tourner avec Laura et Martin. Il y a une vraie intimité qui se forme. Ça fait une semaine que nous sommes dans le même mini bus. On arrive dans des lieux différents, accueillis par des gens différents… c’est toujours un peu le suspens. Nous vivons la même chose, alors ça crée des liens.
Martin Luminet : Je pense que ceux qui nous sélectionnent prennent en compte l’humain. Caroline Guaine sait que nous partons quelques jours ensemble, je pense qu’elle doit veiller à mettre des artistes qui n’ont pas des caractères aux antipodes des uns des autres.
Laura Cahen : Oui, c’est sûr elle doit choisir en fonction des personnalités.
Laura Cahen : clip de "Froid".
Vous avez écouté ce que faisaient les autres avant de partir ?
Martin Luminet : Laura, je connaissais parce qu’elle est déjà un peu connue. J’aimais bien. Quant à OUEST, nous nous sommes rencontrés à la soirée d’inauguration. Nous savions que nous partions ensemble, nous nous sommes donc échangés nos CD. J’aime aussi ce qu’il fait. Et je ne dis pas cela par politesse.
Laura Cahen : Moi, je viens tout juste d’avoir les CD de mes « filleuls », je vais donc les écouter très vite. Mais, évidemment, je suis allée voir sur Internet ce qu’ils faisaient.
OUEST : J’ai écouté cet après-midi l‘EP de Laura, mais, moi aussi, je la connaissais d’avant. Martin, je suis allé voir sur Internet un clip de lui. Bien sûr, les artistes ont cette curiosité de savoir avec qui ils vont vivre une aventure commune.
Pendant l'interview (1)
Ce qui est génial avec vous trois, c’est que vous avez des univers très différents. Ca ne déstabilise pas le public ?
Laura Cahen : Non, au contraire. Martin commence le spectacle, en douceur et humour. Les gens sont conquis. Ensuite, c’est moi, je ne peux pas trop en parler (rires).
OUEST : Elle charme le public immédiatement, elle irradie et rend radieux le public. Moi, je fini la soirée.
Laura Cahen : C’est le moment le plus rythmé. Il conclut en beauté.
Martin Luminet : Nous sommes sur des esthétiques différentes sur scène, mais nous avons remarqué que nous avons beaucoup de points communs, comme par exemple l’amour du français. Ce n’est pas parce qu’on a choisi de défendre une esthétique qu’on n’aime pas celle des autres.
OUEST : Clip de "Les aviateurs".
Ce soir, vous jouez dans un pub.
Laura Cahen : On joue dans toutes sortes de salles, c’est ça qui est bien. Depuis qu’on a commencé, on a joué dans une chapelle, dans un club et dans un bar.
Le Mégaphone Tour vous apporte quoi concrètement ?
Martin Luminet : Je cherche surtout à me connaître scéniquement. Savoir comment arriver le plus simplement devant le public, surtout dans une configuration où on n’est pas dans une salle plongée dans le noir, mais au milieu des personnes. J’essaie de trouver ce subtil équilibre entre le plateau et le public.
Laura Cahen : Pour moi, être seule avec ma guitare et un piano, c’est une belle expérience parce que je suis, la plupart du temps, avec trois autres musiciens. Là, je viens de faire 8 dates en solo. Ça me permet aussi d’aller dans des lieux où je n’ai jamais joué et de rencontrer probablement un nouveau public. Et puis, enchainer les dates, ça fait du bien.
OUEST : Nous avons une soif de faire des dates. C’est quelque chose qui nous nourrit. Quand on est un artiste en développement, il est difficile d’accéder aux SMAc (note de mandor : Le label SMAc est un dispositif créé et soutenu par le Ministère de la Culture, qui regroupe environ 150 divers lieux musicaux de petite et moyenne capacité, dédiés aux musiques actuelles/amplifiées), aux centres culturels, bref, aux grosses structures. Pour y accéder, il faut avoir beaucoup de notoriété, de la promotion, un tourneur. Avec le Mégaphone Tour, on est sur des petits lieux qui correspondent aux développements des artistes. Il en faudrait 12 000 des structures comme le Mégaphone Tour.
Laura Cahen : Personnellement, le fait de jouer 8 concerts en solo, ça m’aide à savoir comment je réagis dans des conditions différentes. Et comme Martin, ça me permet de me connaître mieux. Je vois ce qui marche et ce qui ne marche pas. Je tente aussi des choses. Non, vraiment, je trouve ça très bien.
Martin Luminet : Et ça doit aussi te rassurer de constater que tu peux tenir la baraque seule.
Laura Cahen : Exactement.
Martin Luminet : "Pardonnez-moi" en version acoustique.
Il y a une envie de chacun de faire mieux que l’autre ?
Laura Cahen : On a juste envie d’être bons. Nous avons des univers tellement différents qu’on ne pense pas à une quelconque rivalité. On n’apporte pas du tout la même chose au public. Nous essayons de les emmener chacun dans notre monde.
Martin Luminet : Quand les gens viennent voir un triple plateau, j’ai l’impression que les gens jouent vraiment le jeu. Il y a beaucoup de respect et de curiosité de la part du public. C’est assez impressionnant.
OUEST : Ce qui est sympathique entre nous, c’est que nous avons eu les mêmes ressentis chaque soir. Il y a un soir où on a dit tous les trois que nous n’étions pas au meilleur de notre forme. Il y a eu un autre soir où c’était l’euphorie pour tous les trois.
Pendant l'interview (2)
Vous avez tous les trois des disques très produits. Là, vous êtes sans grosses machines. Vous êtes tel que vous êtes. Ça aussi c’est un défi ?
Laura Cahen : Je construis mes morceaux en guitare voix, donc cette formule est l’essence de ma musique. Retrouver le guitare-voix me permet peut être de suspendre le temps, d’avoir un temps élastique. Ça m’intéresse pas mal.
OUEST : Moi, je suis un peu l’exception. La formule du Mégaphone Tour permet de partager le cachet avec un deuxième musicien si on en a envie. Du coup, j’ai décidé de partager la scène avec mon batteur qui, lui, est venu avec un tom basse et son sampler avec mes productions à l’intérieur. On emmène donc un peu plus de volume sonore, c’est la raison pour laquelle je termine le spectacle. Mais ça reste quand même une adaptation, une nouvelle création.
Martin Luminet : Moi aussi, mon EP est plutôt pop. Quand on arrive en studio, on a tous la tentation d’étoffer la musique qu’on a créée dans sa chambre. Comme ma participation au Mégaphone Tour se juxtapose avec un lancement de projet, j’avais besoin de présenter mes chansons nues. Je ne voulais pas essayer de séduire les gens par la forme, mais plus par ce que mes chansons racontent. Si ça marche, ça me donnera un peu de confiance et je saurai que je qu’elles valent la peine d’être jouées en groupe. Ce sont des propos et des thématiques assez intimistes, donc je pense que cette formule piano-voix, fragile, fébrile même, c’était l’idéal.
Les artistes à la fin du spectacle. Au Celtic à Tarbes.
Vous vous mettez en danger ?
Laura Cahen : Oui. Ce n’est pas très naturel d’aller se mettre sur une scène et jouer des chansons devant des gens.
Martin Luminet : Ce qu’il y a de paradoxal là-dedans, c’est que ce sont souvent les plus timides qui se retrouvent sur scène. On a envie de se planquer, mais il n’y a pas d’autres moyens pour nous d’exprimer ce que nous avons à dire.
OUEST : Dans la vie, j’ai le verbe et la parole facile, mais à partir du moment où on est sur scène, il se passe plein de choses. Le regard et le jugement des gens, on se livre, on se met à nu.
Martin Luminet : Il y a des choses que l’on arrive à crier au public que l’on ne dirait pas à sa propre famille autour d’une table.
Pendant l'interview (3)
Le Mégaphone Tour a ceci de particulier que les artistes jouent dans des petites salles, donc avec une réelle promiscuité avec les gens.
Laura Cahen : C’est très intime. J’aime bien être proche des gens. J’aime bien les sentir. J’ai du mal quand le public est loin parce que j’ai l’impression que je ne comprends pas ce qu’ils ressentent. Ça me gêne. Là, ils sont très proches, c’est assez magique.
Martin Luminet : Il y a des moments de silence et nous sommes tous les trois attachés à ça. La part de silence dans une chanson est un bon indicatif de comment se passe la soirée.
C’est un peu une colonie de vacances le Mégaphone Tour ?
Laura Cahen : Complètement.
OUEST : Mais c’est une colonie studieuse et organisée. C’est une colonie de vacances qui se mélange avec une sortie de classe, genre « sortie découverte ».
Martin Luminet : Le Mégaphone Tour n’est pas du genre : « montez dans le camion, on vous emmène ». Il y a aussi : « on vous montre comment marche une tournée », certainement pour nous responsabiliser.
Laura Cahen : Moi, j’avoue que je me laisse pas mal porter par le vent.
Martin Luminet : Mais tu n’es pas oisive et passive.
Pendant l'interview (4)
Laura, tu as la marraine. Tu as un rôle précis à jouer ?
Laura Cahen : Je n’ai pas fait partie du dispositif de repérage. Pour le Mégaphone Tour, ce qui pourrait être bien dans les années à venir, c’est de créer un lien avec les filleuls. J’adore Martin et OUEST et je suis hyper contente d’être avec eux, mais c’est bizarre d’être la marraine de deux artistes avec lesquels je n’avais jamais parlé. Ce serait bien que les parrains voient qui sont les artistes et de les choisir. Tu t’imagines, si je n’aimais pas du tout OUEST et Martin ! Là, ça tombe bien en tout cas. Je les aime mes petits cocos (rires collégiales).
Ça fait une semaine que vous êtes ensemble, j’imagine que vous resterez en contact après cette aventure.
Martin Luminet : Ce qui est sûr, c’est que ça sème une petite graine. Moi, je sais qu’avec Laura et OUEST, j’aurais bien envie de partager des trucs. Les hasards de la vie feront que l’on se recroisera où pas.
Laura Cahen : Ce n’est pas rien de passer deux semaines ensemble, jour et nuit. On va rester en lien, c’est une certitude… et je vais suivre de très près leur parcours.
OUEST : Moi, je suis ravi du comportement humain de mes deux acolytes et j’adore ce qu’ils font. Je ne vais pas me priver de vanter leurs mérites à mon entourage.
Précisions : A la fin de l’entretien, j’ai interrogé ces trois artistes sur leur disque respectif. Mais, c’était si sommaire que j’ai pris la décision de les mandoriser tous les trois, en tête à tête, parce qu’ils valent vraiment le coup. Ils sont tous d’accord. Alors, à suivre …
Après l'interview, de gauche à droite, Martin Luminet, OUEST, Laura Cahen et Mandor, le 2 février 2017.
Et ci dessous, un polaroïd signé "Le Celtic" avec à gauche, Marie du Mégaphone Tour. Merci à elle pour l'accueil et sa disponibilité.